Eugène: les livres de sa vie

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Portrait d'Eugène
© Alexandra Kaourova

Eugène écrit –  son dernier livre Lettre à mon dictateur a obtenu un Prix suisse de Littérature 2023, et le prochain, un livre darchitecture, paraîtra chez Infolio –, il joue, enseigne... et lit!

«LA VIE MODE D’EMPLOI» DE GEORGES PEREC

Les contraintes de Perec sont stupéfiantes. Si certaines sautent aux yeux (écrire un roman sans utiliser la voyelle «e»), d’autres restent cachées. Par exemple, dans La vie mode d’emploi, il divise un immeuble haussmannien en cases. On avance d’un appartement à l’autre en se déplaçant comme un cavalier sur un jeu d’échecs! Dans ce récit foisonnant, on est à la fois à Paris et partout ailleurs. L’idée du puzzle est d’autant plus présente qu’un des personnages de l’immeuble est… fabricant de puzzles.

«MAUS» D’ART SPIEGELMAN

Une bande dessinée, une fable, le récit de la Shoah et surtout la tentative d’un dessinateur de «survivre au survivant». Le père d’Art Spiegelman est un rescapé d’Auschwitz, vivant avec son fils à New York. Mais le moindre fil de fer trouvé par terre lui rappelle la vie dans les camps. Il ne parle que de ça. Art Spiegelman lui propose de raconter une bonne fois pour toutes son parcours sous le régime nazi. Son parti pris est de dessiner les Juifs avec des têtes de souris («Maus» en allemand) et les Allemands avec des têtes de chat. Cette BD en noir et blanc en deux tomes publiés en 1986 et 1991 est l’un des actes fondateurs du roman graphique.

«LA SUPPLICATION» DE SVETLANA ALEXIEVITCH

La plus grande catastrophe industrielle du xxe siècle, racontée par les survivants ou leurs proches. On apprend par exemple qu’à l’aide de bulldozers, les ouvriers doivent racler la terre irradiée sur des centaines de mètres carrés pour l’enterrer dans des fosses. Enterrer la terre: quelle métaphore du chaos! La fin du monde s’est passée en Europe, en 1986. Cette parole chorale est mise en forme par Svetlana Alexievich de manière simple et radicale: à partir de centaines d’heures d’interviews, elle a agencé un récit. Donner la parole aux autres, c’est aussi de la littérature. Le jury du Prix Nobel de littérature ne s’y est pas trompé en la distinguant en 2015!

«LA HORDE DU CONTREVENT» D’ALAIN DAMASIO

Ce sont les étudiants de l’Institut littéraire suisse où j’enseigne qui m’ont fait découvrir cet auteur français. Sa Horde du contrevent relève un défi extraordinaire: innover dans le genre fantasy. Dans un univers balayé par les vents, des équipes se lancent à travers des régions inhospitalières pour découvrir l’origine ultime du vent. Poésie, philosophie, aventures au fil d’une pagination à rebours. Oui, le roman se termine à la page 1.

«LE GRAND CAHIER» D’AGOTA KRISTOF

Roman extraordinaire écrit en français en 1986, soit trente ans après l’arrivée d’Agota Kristof en Suisse, en tant que réfugiée. Roman étonnant, puisque le narrateur est un «nous»: deux jumeaux racontent leur quotidien chez leur grand-mère durant la Seconde Guerre mondiale. Roman sidérant, puisque les jumeaux parlent sans métaphores. Et ce n’est pas une métaphore!

Camille Luscher

Après avoir assisté à une lecture spectacle, durant laquelle Camille Luscher joue (entre autres!) à traduire des textes vers une langue inconnue, j’ai compris que pour elle la traduction est une œuvre en soi. Ses romans (suisses) traduits de l’allemand vers le français donnent vie à un continent étonnant.

Source:
Eugène, Magazine LivreSuisse n°6