À la recherche de la faim perdue

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Portrait de Dorothee Elmiger
Dorothee Elmiger © Peter-Andreas Hassiepen

Faites connaissance avec l’une des révélations de la scène littéraire alémanique contemporaine, Dorothee Elmiger. Plus qu’un essai sur la faim, Sucre, journal d’une recherche est une vaste discussion sur mille et un sujets tous plus stimulants les uns que les autres.

Bonne nouvelle! Une des nouvelles voix littéraires les plus prometteuses de Suisse alémanique, celle de Dorothee Elmiger, 38 ans, nous arrive en français ce printemps avec la traduction de son troisième livre, Aus der Zuckerfabrik, paru chez Hanser à Munich en 2020. Et ça dépote! Et ça déménage!


Lire Sucre, journal d’une recherche est une expérience extraordinaire. Traduit par Camille Luscher et Marina Skalova, cet essai-fiction déroule son matériau avec un mélange d’allégresse, d’énergie, de liberté et de poésie très original. Oubliez vos a priori de genres, et plongez, truffe au vent, dans un livre qui mêle journal intime, essai, notes de lectures et fiction sans vergogne. 

Parmi les fils rouges narratifs que l’on retrouve au fil des pages, la figure tragique et attachante d’Ellen West, née en 1888, célèbre patiente du pionnier suisse de la psychiatrie Ludwig Binswanger, souffrant de troubles alimentaires sévères, morte par suicide au poison à l’âge de 33 ans. Mais aussi, en 1986 à Spiez au bord du lac de Thoune, la vente aux enchères de deux anciennes statuettes féminines africaines, ou encore l’histoire de Werner Bruni, lauréat heureux, puis malheureux, au loto suisse dans les années 1990. Il est question de la faim, du lien entre l’addiction au sucre et l’univers du désir érotique, de folie, d’esclavagisme et de conquête coloniale, des identités de genres. On y croise Adam Smith, Nikinski, Thérèse d’Avila, Heinrich von Kleist, la cinéaste Chantal Akerman, de la poétesse américaine May Swanson ou du dramaturge allemand Wolfram Lotz. On se demande avec l’auteur si ouvrir le frigo des autres ne serait pas un geste un peu trop intime. Objet de sa propre (en)quête, Dorothee nous livre ses propres rituels en matière de sucre dans le café, d’en-cas au milieu de la nuit dans les chambres d’hôtel de Port-au-Prince, Montauk ou Paris. Bref, Sucre, journal d’une recherche est touffu, personnel et complexe, mais on se promène avec bonheur dans un univers intellectuel post-moderne des plus stimulants et surprenants.

Née à Wetzikon dans le canton de Zurich en 1985, Dorothee Elmiger a étudié l’histoire, la philosophie et l’écriture littéraire à l’Institut littéraire suisse à Bienne ainsi qu’à l’Institut pour la littérature allemande à Leipzig. Déjà lauréate de plusieurs prix littéraires dont un Prix Suisse de littérature 2015 pour Schlafgänger, elle co-dirige la collection Volte chez Spector Books en Allemagne. De toute évidence, à suivre.
 
 

Source:
Isabelle Falconnier, Magazine LivreSuisse n° 5