Vive le Rameau d'Or!

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Portrait Dimitrijevic

L’institution genevoise a définitivement fermé ses portes, Jean-Michel Olivier lui rend hommage.

Quand Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions L'Âge d'Homme, est arrivé à Genève, dans les années 1950, il n'avait pas le sou vaillant. Il s'est baladé dans le quartier de Plainpalais, puis est allé boire un café au Remor, le glacier de la place. Le patron est venu vers lui, intrigué par ce client peu ordinaire. Dimitri lui a avoué qu'il n'avait pas d'argent pour le café. Qu'à cela ne tienne : monsieur Remor lui a offert café et croissants. 

Dimitri, qui croyait aux signes du Ciel, s'est promis de revenir dans le quartier, aux jours meilleurs, et d'y ouvrir une librairie.
Il a tenu parole : en 1976, il a ouvert Le Rameau d'Or, une librairie qui est devenue une institution, un lieu de rencontres et un vivier d'écrivains et de poètes. C'est devenu le quartier général de Georges Haldas, Jean Vuilleumier, Jean-Claude Fontanet, et de tant d'autres. 

Pendant plus de vingt ans, la librairie a été tenue par Claire Hillebrand (dite la grande Claire) et par Claire Renaud (dite la petite Claire). On y trouvait non seulement les livres de L'Âge d'Homme, mais toute la production française contemporaine — et bien sûr les fleurons de la littérature romande. C'est là, dans les salles du Rameau, sous le vieux lustre en cristal, que les auteurs romands venaient « vernir » leur nouveau livre. C'était l'occasion de joyeuses ripailles ! Dimitri se baladait dans la librairie, l'œil rivé à son appareil de photo (que sont devenus ces milliers de clichés?)

Mais le temps a passé. Dimitri est mort parmi les livres, dans sa vieille camionnette, sur une route de Bourgogne. Amazon est passé par là. Puis le Covid, avec ses restrictions absurdes. C'est l'immense mérite de Yann Courtiau, puis de Frédéric Saenger de s'être battu comme des beaux diables pour remonter la pente et donner un nouveau souffle au Rameau d'Or qui aura été plus qu'une librairie, une institution — un mythe. 

Souvenez-vous de ce passage de L'Eneide, de Virgile, où la sibylle de Cumes fit prendre un rameau d'or à Enée pour lui ouvrir la route des enfers. Ce rameau d'or est un sauf-conduit, une lettre d'affranchissement : un passeport pour traverser le royaume des ombres et retrouver le goût de la lumière.

Jean-Michel Olivier
 

Source:
Jean-Michel Olivier, Magazine LivreSuisse n° 5