Aime, plante, attends

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Portrait de Anne-Sophie Subilia
©Romain Guélat / éditions Zoé

Anne-Sophie Subilia raconte dans L’Épouse quelques mois dans la vie de la jeune épouse d’un délégué humanitaire suisse à Gaza dans les années 1970. Un récit tout en finesse.

Gaza, janvier 1974. Un jeune couple venu de Suisse s’installe en Palestine. Lui est délégué humanitaire. Elle, elle l’accompagne. Dans maison où ils s’installent, le sable s’insinue partout. Au début, Piper tente de lutter, puis elle renonce. Un vieux jardinier propose de s’occuper du jardin à l’abandon. Ils ne parlent pas la même langue: elle le regarde faire. Peu à peu, comme par miracle, de la terre sèche et des rocailles surgissent des plantes, des fleurs, des fruits. Lorsque Piper se risque en bord de mer, sur la plage, ou au marché, elle attire les regards suspicieux et méfiants des autres femmes. Elle écrit à ses amis ou à sa famille de longues lettres qu’elle tente de rendre joyeuses et positives. Elle leur écrit de venir, parce qu’elle se sent seule. Son mari, Vivian, rentre épuisé le soir de ses missions éprouvantes dans les prisons, les camps. Lorsqu’elle se risque à lui rendre visite à son bureau, elle dérange. Le vendredi soir, ils vont danser, rire et boire au Beach Club avec les autres expatriés. De fait, elle ne fait bientôt plus qu’attendre ce jour-là. Elle étouffe, imagine rentrer en Suisse. Jusqu’à ce qu’un bébé orphelin crée en elle en torrent d’amour incontrôlable.

Le très beau et subtil récit d’Anne-Sophie Subilia, auteure des précédents romans Parti voir les bêtes et Neiges intérieures, sobrement intitulé L’Épouse, suit ainsi le quotidien de Piper de janvier à juillet 1974. Comment trouver sa place? Comment ne pas se perdre lorsque tout est étranger autour de soi? Comment supporter l’hostilité et l’incompréhension lorsque personne n’a requis votre présence mais que vous êtes là, malgré tout? Que faire de soi, de ses mains, de son corps, de sa tête, de sa voix, lorsque vous n’avez aucune réelle obligation? L’abnégation est-elle encore de l’amour? Inspiré d’un album photo de famille de l’auteur, L’Épouse suit avec une attention à fleur de peau le lien de Piper à son homme, à la mer, à sa solitude et au monde. Mélancolique, flottante, c’est au rythme des fleurs qui poussent que la jeune femme trouvera sa place.

On sent dans ce nouveau livre d’Anne-Sophie Subilia, née à Lausanne en 1982, tout à la fois son intérêt pour les relations entre les êtres, la rencontre avec l’autre, et sa passion de l’Ailleurs et des voyages, elle qui a vécu autant à Berlin qu’à Strasbourg et Montréal tout en voyageant régulièrement autour du monde. Et puis l’écrivaine et poétesse aussi – Les hôtes chez Paulette en 2018, abrase aux éditions Empreinte en 2021: la langue de L’Épouse glisse comme une caresse timide et brûlante sur la peau.

Source:
Isabelle Falconnier, Magazine LivreSuisse n°4