La belle ardeur poétique romande

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Portrait de Philippe Jaccottet
©Serge Assie

Philippe Jaccottet et Pierre Chappuis disparus, reste leur poésie. Et celles de leurs pairs poétesses et poètes romands contemporains de toutes générations, d’Alexandre Voisard à José-Flore Tappy, en passant par Pierre-Alain Tâche, Laurence Verrey, Jacques Roman, Thierry Raboud, Claire Genoux.

La Clarté Notre-Dame et Bonjour, Monsieur Courbet de Philippe Jaccottet (Gallimard et La Dogana/Le Bruit du temps), ou encore La Nuit moins profonde de Pierre Chappuis, à paraître ce printemps chez Empreintes: sous ces titres lumineux, deux grands poètes disparus très récemment nous lancent leur dernier message. Leur oeuvre désormais close nous accompagnera longtemps encore, car ces livres nous relancent dans la lecture des précédents.

Il est temps de rouvrir Pleines marges (éd. d'en bas, 2019, rééd.) pour y sentir la délicatesse avec laquelle Pierre Chappuis fait entrer la vie dans la poésie. De rouvrir les oeuvres poétiques de Jaccottet dans la Bibliothèque de La Pléiade pour y détecter, déjà dans des pages anciennes, l’ampleur passionnée et tragique de son dernier recueil.

Chez ces deux poètes, la poésie aura pris les inflexions du poème autant que la prose; l’un et l’autre auront été d’immenses lecteurs, pratiquant la critique par nécessité intime. Le dialogue avec leur pairs n’a cessé de renouveler leur propre réflexion et leur travail, ils ont accueilli généreusement leurs jeunes confrères. Leur haute présence aura imprimé à la poésie en Suisse romande une exigence et une ardeur dont on se fera une idée en consultant le catalogue d’une poignée de maisons d'éditions spécialisées: La Dogana, Samizdat, les sommaires de La Revue de Belles-Lettres, ou dans le domaine de la poésie traduite, la belle collection bilingue des éditions d’en bas.

Aux éditions Empreintes, l’année 2019 a été faste, avec une dizaine de publications, au travers des générations: du doyen de la poésie romande, Alexandre Voisard, avec L’ordinaire et l’aubaine des mots, en passant par François Debluë qui publie les Poèmes de l’Anneau d’or, alors même que sa «rêverie» en prose La seconde mort de Lazare (L’Age d’Homme, 2019) obtenait un Prix suisse de littérature. Et jusqu’à Thierry Raboud dont le premier recueil, Crever l’écran, scrute avec une ambivalence laconique la rupture qu’instaure le numérique dans notre rapport au réel, à autrui, et dans l’expression de la mémoire.

Des maisons généralistes accueillent parfois la poésie, ainsi Zoé qui réédite en poche Hangars de José-Flore Tappy, ou la prolifique collection «métaphores», à l’Aire, où paraît Qui instruira le livre au calme, de Jacques Roman avec une préface de Sylviane Dupuis, et des quatrains de Laurence Verrey, L’ombre est une ardoise...

En Suisse et en France, plusieurs publications, en 2020, marquent les huitante ans de Pierre-Alain Tâche: citons ses belles Autres avancées aux éditions Conférences (Paris). Pierre Voélin poursuit une fructueuse collaboration avec Fata Morgana, qui reprend un livre ancien, Les bois calmés, en même temps que sort un nouveau recueil, Arches du vent. Anne Emmanuelle Volterra signe avec Scènes d'Hiroshima (2018, LansKine) un premier recueil couronné du Prix Louise Labé 2019. Claire Genoux publie Les Seules aux éditions Unes (2021), Antonio Rodriguez, Europa Popula, troisième volet de son cycle sur l’Europe, chez Tarabuste.

La poésie se décline parfois sur un mode plus collectif: dialogue très lémanique des aquarelles de Florence Grivel et des poèmes de Julien Burri (Lacunes, BSN Press, 2019), confrontation des photographies de Nadège Abadie et des poèmes de Marina Skalova, entre la parole et sa disparition (Silences d’exil, en bas, 2020). Et un profus parcours anthologique publié chez Noir sur Blanc en 2019: Le poème et le territoire. La poésie, en marge des allées bien ratissées de la littérature, est un secteur sauvage, plein d’aventures et d’appels fraternels. Nous le rappellent deux titres récents, parus aux éditions Héros-Limite: Au jardin des légendes, du Genevois Claude Tabarini, et Tout tient tout d’Isabelle Sbrissa.

Source:
Marion Graf, Magazine LivreSuisse n°1