La collection Poche suisse: entretien avec François Vallotton

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Portrait de François Vallotton
© François Vallotton

François Vallotton: «La collection Poche suisse a joué le même rôle en Suisse romande que le lancement du Livre de Poche en France.»

Isabelle Falconnier: La création de la collection Le Livre de Poche en France par Hachette, en 1953, marque un tournant dans la vie éditoriale française. Des lieux de diffusion des livres jusqu’aux habitudes de consommation, tout change. Est-ce qu’en Suisse, la collection Poche suisse, lancée par l’éditeur Pierre-Olivier Walzer en 1978 sous le label des éditions l’Age d’Homme de Vladimir Dimitrijevic, joue le même rôle?
François Vallotton: Dans un certain sens, oui. En France, Le Livre de Poche déclenche un tremblement de terre et divise les observateurs, qui honnissent ou saluent son apparition et ses conséquences. Le Livre de Poche crée un vaste mouvement de diversifications des collections dans ce format réduit, on va parler de «pochothèque», on organise tout un marketing pour accompagner les nouvelles filières de diffusion, pour parler aux nouveaux publics attirés par la nouveauté, l’accessibilité des livres de poche, leur image moderne. On va retrouver cet élan en Suisse, et la collection Poche suisse va jouer ce rôle de catalyseur. Le poche à la mode suisse va d’une certaine manière s’imposer dans les esprits.

I.F. Parler de livres de poche ne veut pas seulement dire parler de livres en format réduit, qui existent depuis bien plus longtemps
F.V. Le format réduit existe dans l’histoire de l’édition depuis effectivement fort longtemps. Dès la fin du XIXe siècle, en Suisse comme ailleurs en Europe, les éditeurs vont jouer sur la diversité des collections et donc des formats, avec des formats graphiques différenciés, des caractéristiques matérielles spécifiques, des papiers divers, des illustrations variées. Les éditeurs ont toujours essayé de viser, à travers la diversification des formats et des lignes graphiques, différents publics aux attentes spécifiques, que ce soit le public féminin, le jeune public, ou le public scolaire. En Suisse, je pense par exemple à la collection Bouquet de Mermod, un format plutôt petit mais avec des caractéristiques typographiques richement élaborées, et pour des textes inédits.

I.F. Quand donc apparaissent les premières collections de véritables livres de poche, soit de rééditions de livres déjà parus, en Suisse romande?
F.V. En France, le grand essor des collections populaires publiant notamment des classiques en formats réduits se fait à la fin du XIXe siècle. En Suisse, elles apparaissent aussi dans les dernières années du XIXe siècle. On peut citer La nouvelle bibliothèque du foyer de l’éditeur Delachaux, La bibliothèque de voyage, de chasse et d’aventure de Payot, Mermod avec sa collection clairement nommée Pour la poche ou encore la Bibliothèque de la Jeune fille chez Mignot à Lausanne, proposant toutes des catalogues panachés entre des ouvrages classiques et quelques productions littéraires régionales romandes. Une initiative très intéressante est la collection de poche Le Roman romand lancée en 1910 par les éditions Payot: c’est une collection populaire qui met en valeur les auteurs du cru, publiant autant des classiques français ou du monde que Ramuz et d’autres auteurs romands du moment. Ce qui singularise par ailleurs la collection, c’est que tout en maintenant la librairie comme premier canal de diffusion, elle investit également les kiosques et développe un marketing propre très élaboré. Le but est de pousser à l’achat un public clairement plus large que celui de la librairie et de la littérature, à l’instar des collections populaires de poche des grands éditeurs à succès parisiens de l’époque comme Fayard ou Ollendorff. Si l’impact immédiat est important, et que la promotion centrée sur la défense de la production littéraire autochtone est novatrice, la collection le Roman romand ne sera pas éditée au-delà des années 1920.

 

Source:
Propos recueillis par Isabelle Falconnier, Magazine LivreSuisse n°5