L’amour du livre au temps du corona

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Personne tenant un livre dans une librairie

2020 fut l’annus horribilis pour les manifestations littéraires. Mais cet automne 2021, Covid ou non, les festivals se sont adaptés. Les événements seront éclatés géographiquement, modulables, intimistes, variables à tout instant. L’esprit de guérilla permet de contenir l’ennemi.

Le livre est un plaisir solitaire, un bonheur qui se goûte dans le recueillement. Tant pour l’écrivain qui s’échine sur ses mots que pour la lectrice ou le lecteur qui voyage au gré des chapitres. Mais des deux côtés du miroir, l’envie est grande de briser le silence pour partager, échanger, dialoguer au-delà des pages. Si la pandémie a été propice à la découverte de lectures nouvelles, le tocsin sonne aujourd’hui l’urgence des retrouvailles. Un peu partout en Suisse romande, les festivals littéraires fourbissent leurs armes pour organiser réunions, dédicaces et débats. Les forces de la résilience sont en marche; l’amour du livre au temps du corona est même plus fort que jamais puisque de nouveaux rendez- vous sont d’ores et déjà programmés, notamment à Fribourg, où les rencontres littéraires Textures sont sur le point de prendre leur envol.

Faux départ déjà oublié

Matthieu Corpataux, son directeur, affiche une foi inébranlable en son événement. Variant Delta virulent ou pas, Textures vivra sa première édition du 1 au 3 octobre: «Quand Charly Veuthey m’a proposé de reprendre le Salon du livre romand fin 2019, j’ai tout de suite annoncé une année de transition, sans festival. Ainsi, nous n’avons rien dû annuler. En effet, dès le départ, nous avons voulu faire un événement plus important, plus décentralisé, avec plus de performances et des tables rondes. Et, dès le commencement, j’ai annoncé que 2020 serait une année pour mieux nous préparer. La pandémie nous a quand même rattrapés, on a dû décaler la manifestation de six mois.» Un faux départ déjà oublié.

L’une des originalités de Textures et sa grande force en ces temps incertains réside précisément dans son implantation éclatée. «Il était exclu d’organiser une grosse foire dans un lieu clos, confirme Matthieu Corpataux. Mon intention, avant même que le corona ne fasse son apparition, a toujours été de créer un festival en constellation avec une dizaine de lieux d’accueils différents. Nous proposons une cinquantaine d’événements: ateliers, lectures, performances, débats… Et concrètement, le festival n’a subi aucun changement à cause du virus. Si impact il doit y avoir, il ne sera que d’ordre logistique.» En fait, le salon a été envisagé et travaillé depuis une année et demie dans l’idée d’un événement idéal sans contraintes sanitaires. Mais en gardant en permanence à l’esprit qu’il faut peut-être l’adapter avec des restrictions du public ou d’autres limitations.

Grande force d'adaptation

«À titre personnel, avoue Matthieu Corpataux, je suis l’actualité Covid au jour le jour. Mais j’essaie de ne pas suranticiper. Notre plan sanitaire a été validé par les autorités. Le budget est prévu avec une augmentation éventuelle de l’organisation qui nécessiterait plus de présence pour gérer l’accueil du public. De toute manière, on se pliera aux demandes des autorités s’il y en a. On a déjà assez prévu de choses.» Et en cas de confinement obligatoire interdisant toute rencontre en présentiel, un plan catastrophe est prêt:
les événements seront proposés en ligne, en streaming direct. «Organiser un événement littéraire avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes a impliqué une grande force d’adaptation.» Sur les rives du Léman, Fanny Meyer, directrice du Livre sur les quais à Morges, parle en connaissance de cause. Mais, par rapport à l’édition 2020 qui était vraiment une édition de survie, confinée dans les alentours du château et masquée, la manifestation a retrouvé un rythme de croisière plus serein. Plus d’autrices et d’auteurs réunis et des quais à nouveau investis par les grandes tentes blanches, signe de ralliement pour les séances de dédicace. «Nous avons bien sûr dû procéder à des changements de stratégie au fur et à mesure de l’évolution de la situation, témoigne Fanny Meyer. Nous en sommes déjà au moins à notre troisième concept. Et ce n’est pas toujours commode au niveau organisationnel; nous sommes en lien avec la police du commerce qui nous accompagne dans nos démarches, nous avons aussi des contacts étroits avec l’état-major de conduite du canton de Vaud qui a validé nos concepts, demandé parfois des ajustements. Ce n’est pas toujours évident, mais pour eux non plus.»

Une question de passion

La valse des ordres et contre-ordres a mis parfois à rude épreuve les nerfs des organisateurs. «Un jour on transmet une information et quinze jours après on change tout, confie la directrice morgienne. Heureusement, j’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur des équipes hyper réactives que ce soit l’équipe organisatrice en interne, les partenaires ou les bénévoles. Même si la situation est compliquée, tout le monde le comprend et s’est montré solidaire.»

Comme son homologue Textures, le Livre sur les quais est totalement éclaté géographiquement: à l’intérieur, en extérieur, sous tente, dans les magasins, même en bateau. Une configuration idéale pour s’adapter vite et bien aux mutations de la pandémie. Un esprit de guérilla qui permet de contenir l’ennemi. Certains événements exigent un certificat Covid, d’autres pas. Les jauges des événements, elles aussi sont modulables, intimistes parfois, variables à tout instant.

«Nous avons essayé de prévoir tous les cas de figure, conclut Fanny Meyer. Mais notre principale interrogation concerne la réaction du public et la fréquentation. Avant le Covid, nous accueillions 40’000 visiteurs; l’année dernière moins de 10’000. Pour notre budget, cela fait toute la différence, car l’enjeu financier pour le Livre sur les quais se situe dans la vente des ouvrages.»

Même si les festivals littéraires sont question de passion, l’argent reste bien sûr le nerf de la guerre, garant de la pérennité. À Fribourg aussi: «Textures propose une nouvelle formule peu connue dans le monde francophone, précise Matthieu Corpataux. Notre événement payant est tributaire de la billetterie et nous sommes un peu dans le brouillard. Mais, même s’il est difficile de se projeter avec cette pandémie, nous sommes confiants. Nous avons bien travaillé avec les partenaires et les institutions culturelles. Tous les échos sont positifs aussi bien dans les milieux littéraires que chez les sponsors ou partenaires.» Alea jacta est.

Source:
Jean-A. Luque, Magazine LivreSuisse n°2