L’autre madeleine de Proust

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Portrait d'Etienne Barilier
©DR

Dans À la recherche de Vinteuil, Etienne Barilier rend une fois de plus hommage à la musique et à la littérature française.

J’ai mordu dans ce livre comme le narrateur de Proust a goûté sa madeleine: un peu par hasard, mais avec plaisir, le livre faisant remonter en moi non pas un souvenir d’enfance, mais les images et silencieuses mélodies provoquées par mon premier contact avec La recherche du temps perdu. Dans son roman, Étienne Barilier nous emmène à la rencontre de Louis Lefèvre, mélomane torturé que le petit Marcel Proust aurait pu rencontrer au coin de sa rue, ou du moins entendre, un jour où le pianiste aurait laissé sa fenêtre entrouverte, laissant s’échapper les notes de ses intrigantes compositions. Tout comme Jérôme Bastianelli dans La vraie vie de Vinteuil (Grasset, 2019), Barilier compose l’histoire de celui dont les sons auraient pu se graver dans l’inconscient de Proust, pour plus tard faire émerger ce souvenir sous la forme de Vinteuil, musicien le plus célèbre, mais aussi le plus mystérieux de la littérature française.

Dès les premières lignes, la narratrice de La recherche de Vinteuil se présente comme celle qui «par des voies scabreuses» se trouverait être «la tardive petite-fille» de Louis Lefèvre. Puisant dans le journal du compositeur ainsi que dans les mémoires du cousin de ce dernier, elle tente de recomposer l’histoire de son grand-père, avec ce regard à la fois attendri, fasciné et inquiet que nous portons sur les fous auxquels nous sommes liés. Elle reconstitue sa vie, de la perte précoce de ses parents à sa mort, suggérant toujours son aliénation sans toutefois la nommer, la rendant ainsi oppressante par son absence. Ces silences, posés aux endroits les plus dissonants de la partition de son existence, nous permettent-ils de poser sur le mélomane un regard non pas de dégoût, mais étrangement nuancé? Sans doute. C’est avec une curiosité teintée d’un malaise latent que nous parcourons la vie de l’ambigu personnage, le suivant là où sa quête de la rédemption et son amour des arts le mènent, découvrant, à travers ses péripéties, la Révolution de 1848 et la Commune, frôlant Flaubert, rencontrant Baudelaire, Berlioz et Chopin. Avec la complicité de son artiste antihéroïque, Barilier rend une fois de plus hommage à la musique et à la littérature française.

Au final, même si l’on sait que ce musicien n’a jamais existé, que l’on se doit presque de l’espérer, le lecteur ne voudrait pas qu’un personnage aussi fascinant que celui-ci tombe dans l’oubli. Rien que pour le «scoop» d’avoir trouvé Vinteuil. Eh oui, il faut bien l’avouer: à la fin du roman de Barilier, on souhaite que Louis Lefèvre ait été l’autre madeleine de Proust.

Source:
Mélanie Carrel, Magazine LivreSuisse n°1