Marie-Jeanne Urech en allumeuse de réverbères

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Portrait de Marie-Jeanne Urech
©Charly Rappo

K comme almanach imagine un monde où seul un allumeur de lampadaires résisterait à la fuite vers un monde soi-disant meilleur. Une fable tendre, triste et pleine d’espérance.

Quelle grâce, quelle poésie, quelle tendresse lucide dans ce nouveau et superbe conte-roman de l’écrivaine lausannoise Marie-Jeanne Urech! K comme almanach nous emmène sur une planète qui ressemble à la nôtre. Jour après jour, la population se masse devant l’aérogare pour prendre une navette à destination de Belgador, un monde soi-disant meilleur, pour ne jamais en revenir. Chaque soir, Simon, qui pour rien au monde ne quitterait son univers, allume les lampadaires de la ville à l’aide de sa perche. Il a une mission: nourrir la flamme, contenir l’inévitable progression de l’obscurité, pour préserver son monde de l’oubli. Autour de lui, des voisines et voisins hauts en couleur: Madeleine, qui tient littéralement l’immeuble à tour de bras et chez laquelle l’on vient bavarder et échanger les dernières nouvelles; Monsieur Samson, amateur de jazz et mutilé de guerre dont les pieds s’étaient multipliés; le chef Beckenbaum, qui ne sert que de la «choucroute aux trois poissons» dans son auberge, même lorsque le poisson fait défaut.

Un jour, au bord du Lacmer, Simon trouve un jeune enfant au fond d’une barque, abandonné. Il le recueille. L’emmène dans sa tournée des lampadaires, à la pêche, lui raconte des histoires de sa propre enfance, et décide de lui apprendre à lire, même si la bibliothèque est presque noyée sous les eaux et que les bibliothécaires sont tous partis pour Belgador. Pendant ce temps, les plantes envahissent la ville, grimpant dangereusement sur les lampadaires. Leur espace de vie se rétrécit, et leur temps semble compté. Faut-il se résoudre à partir, au risque d’une immense déception, tout comme Bartholomé de Ménibus, le héros de La terre tremblante, précédent roman de l’auteure, fuyait son village et ses montagnes pour ne découvrir que d’autres montages, d’autres villages?

C’est la force des textes de Marie-Jeanne Urech: on peut s’en emparer avec le cœur ou la tête, l’émotion ou l’intellect, les regarder comme un film, les lire comme une bonne histoire ou encore les déguster comme autant de réflexions profondes sur notre monde, ses fragilités, ses crises, l’importance de la transmission et du lien aux autres. Comment résiste-t-on aux illusions et à l’esprit moutonnier? Comment ne pas céder à l’affolement collectif? Et si le soleil ne revenait pas? Avec une belle inventivité langagière qui nous entraîne autant du côté de Saint-Exupéry, de Kafka voire de Lewis Carroll, K comme almanach explore l’âme humaine avec empathie et finesse. Un bijou.

Source:
Isabelle Falconnier, Magazine LivreSuisse n°4