Swiss Tattoo, itinéraire d’un livre à fleur de peau

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Images représentant l'ouvrage Swiss Tattoo

Clément Grandjean signe avec Swiss Tattoo le premier livre à dresser le panorama de la scène du tatouage en Suisse. Un superbe ouvrage publié par les éditions Helvetiq et conçu par l’atelier graphique Les Bandits à Lausanne. L’occasion de plonger dans les coulisses de sa fabrication et retracer la chaîne de savoir-faire nécessaire à sa réussite.

S’il faut tout un village pour éduquer un enfant, c’est toute une équipe qui est nécessaire à la naissance d’un livre. D’autant plus lorsqu’on parle d’un beau livre, mêlant photographies et textes pour aboutir à Swiss Tattoo, soit un fantastique ouvrage dressant, pour la première fois, un vaste panorama de la scène du tatouage helvétique. Plus d’une trentaine de portraits de tatoueurs et tatoueuses à Lausanne, Genève, Zurich, Lucerne, Neuchâtel ou Sainte-Croix, fief de la mythique famille Leu, des interviews d’experts, historiens d’art ou sociologues, une histoire du tatouage dans notre pays ainsi qu’un chapitre final à la tonalité très pratique pour qui voudrait en savoir plus sur le tatouage en général: une dizaine de personnes ont œuvré en coulisses, autour de l’auteur-photographe vaudois Clément Grandjean, à la réussite de ce livre, publié cet automne à la fois en version française et en version allemande par les éditions Helvetiq. Parcours guidé.

L’ÉDITEUR: HADI BARKAT, FONDATEUR ET DIRECTEUR DES ÉDITIONS HELVETIQ

Swiss Tattoo est né il y a deux ans lors d’une discussion entre Hadi Barkat et Clément Grandjean, auteur, avec son collègue journaliste Alexander Zelenska, d’un précédent guide sur la Via Alpina paru sous le label Helvetiq. «Clément me parlait de sa passion pour le tatouage, des rencontres avec les tatoueurs qu’il faisait déjà: je lui ai proposé de pousser son travail plus loin et de réaliser un panorama du paysage tatouage en Suisse.» Passionné de graphisme, l’éditeur a une hypothèse: «Le savoir-faire suisse en matière de graphisme a une influence sur la scène du tatouage.» Le livre, constate-t-il par ailleurs, comble un manque éditorial. «Il y a très peu de publications à la fois synthétique et grand public sur ce sujet pourtant passionnant et concernant. Il fallait la ténacité et la passion de Clément pour mener à bien ce travail de longue haleine.»

Swiss Tattoo vise ainsi divers publics: «Les passionnés du sujet qui connaissent déjà certains des tatoueurs, les adeptes du tatouage à la recherche d’idées de nouveaux motifs, les curieux désireux d’en savoir plus sur une pratique qui se développe de manière importante.» L’éditeur, qui perçoit de suite le potentiel global du livre, encourage l’auteur à développer les aspects documentaires, historiques, voire pédagogiques, en sus des portraits des tatoueurs et tatoueuses.

L’AUTEUR-PHOTOGRAPHE: CLÉMENT GRANDJEAN, JOURNALISTE

Rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire romand Terre & Nature, passionné par tout ce qui touche à la nature ou aux sciences, historien d’art de formation, citoyen des Plans-sur-Bex, Clément Grandjean s’intéresse au tatouage depuis des années. «Je voulais documenter et accompagner une mouvance actuelle importante, bien visible dans l’espace public mais peu racontée et commentée. Je m’étais très bien entendu avec l’équipe d’Helvetiq pour le livre sur la Via Alpina. J’ai été ravi qu’Hadi Barkat soit sensible à mon projet sur le tatouage. J’avais en tête une vision du tatouage suisse basée sur quelques artistes uniquement: plus je rencontrais de tatoueurs, plus j’étais excité et épaté par le panorama riche, varié, créatif, que propose cette scène suisse.»

Durant toute l’année 2021, prenant en grande partie sur son temps libre et ses vacances, il rencontre quelque huitante artistes, historiens et experts divers. Il réalise à la fois les splendides portraits photo des tatoueurs avec son Leica, et les textes qui les accompagnent. «Je fais de la photo depuis toujours, à la fois pour le plaisir et dans le cadre de mon travail de journaliste. Lors des rencontres avec les tatoueurs, il était plus simple d’être seul avec eux, qui n’ont pas forcément l’habitude d’être mis en lumière. Et quelle satisfaction de pouvoir penser le produit du début à la fin, et de maîtriser l’ensemble du contenu.» Quasiment tous les tatoueurs sollicités acceptent de le rencontrer. «Ce n’était pas gagné d’avance. Si la majorité sont heureux que l’on s’intéresse à leur travail, ce sont aussi des gens de l’ombre, proche des milieux underground, qui n’ont souvent pas besoin d’exposition, de communication. On estime à 600 environ le nombre de tatoueurs en Suisse, mais ils sont sans doute davantage. C’est le propre de ce monde de vivre hors statistique, hors organisation officielle. Les femmes y sont de plus en plus présentes, ce qui est logique vu la demande des femmes et jeunes filles.»

C’est en véritable enquêteur qu’il tombe, dans les réserves du musée d’anatomie de Bâle, sur d’anciennes peaux tatouées, prélevées post-mortem et précieusement conservées. Clément Grandjean s’est tatoué «sur le tard», à presque 30 ans, sur le torse et la cuisse, «des endroits discrets». Si le premier motif est lié à une «histoire personnelle», le second représente un cachalot, en référence au roman d’Herman Melville Moby Dick, livre «essentiel» à ses yeux. Il en fera d’autres, c’est promis.

LES GRAPHISTES: TESSA GERSTER ET CÉSAR DÉCOPPET, ALIAS LES BANDITS

Il s’agit de la première collaboration entre les éditions Helvetiq et le duo de graphistes aux manettes du bureau de communication visuelle Les Bandits à Lausanne, Tessa Gerster et César Décoppet. Après avoir fait connaissance dans le cadre du Salon du livre de Genève, Hadi Barkat leur propose le projet en juin 2021, soit au début du processus. «C’est l’idéal. Cela nous permet de travailler dès le départ de concert avec l’auteur des textes et des photos ainsi que l’équipe éditoriale, d’élaborer une maquette, l’esprit du livre, son déroulé, la longueur des textes, l’équilibre entre textes et photos, etc.»

Surprise lors de ce rendez-vous estival: Hadi Barkat découvre que Tessa comme César sont tous deux tatoués, des dessins floraux sur le bras pour Tessa, des motifs de type flash pour César. Pour le choix de la police de caractère, essentielle à l’esprit du livre, Les Bandits proposent la Freight, que ce soit en version Big pour les titres ou en version standard pour les textes. «C’est une police qui, mêlant angles et arrondis, prend des airs gothiques, en tous les cas artistiques, qu’on retrouve dans le monde du tatouage. Le choix de la police est central, nous avons pris le temps de la choisir via de multiples échanges avec l’équipe d’Helvetiq: un livre en Helvetica ne raconte pas la même chose qu’un livre en Freight.»

La mise en page, quant à elle, vise la lisibilité, la sobriété, la respiration et la mise en valeur des photographies, qui s’étirent pleine page pour les portraits des tatoueurs. La couverture a fait l’objet de toutes les attentions. «C’est simple: nous avons travaillé un an sur le projet, et les discussions sur la couverture ont quasi duré du début à la fin.» Pas de photographies en couverture, mais des dessins issus de la production de certains des tatoueurs rencontrés posés sur un fantastique fond de couleur orange fluo – pantone 805 U précisément. «Nous étions partis sur un rouge en lien avec la Suisse, puisque le livre parle de la scène du tatouage helvétique. Mais c’était un peu cliché. Le choix de ne pas avoir de photo en couverture découle de plusieurs constats: la ligne graphique des éditions Helvetiq, le souhait de ne pas valoriser un tatoueur tout en évitant le patchwork d’images, jamais élégant…» Quant au format, c’est un A4, soit 21 x 29,7 centimètres précisément: «L’iconique graphiste suisse Josef Müller-Brockmann ne disait-il pas que c’est le format parfait?»

L’ÉDITRICE ET CHEFFE DE PROJET: AUDE PIDOUX

Hadi Barkat confie à Aude Pidoux, cheffe de projet au sein des éditions Helvetiq, le soin de suivre le projet Swiss Tattoo. Aude a rejoint la maison Helvetiq en 2021. Auparavant, elle était rédactrice en cheffe d’Echo Magazine à Genève. Son rôle: la coordination entre tous les acteurs œuvrant à la création et la fabrication du livre, ainsi que le travail d’édition proprement dit sur les textes avec l’auteur, sans oublier les demandes d’autorisation de reproduction, parfois complexes, des photos d’archives ou tirées des fonds des tatoueurs – tâche confiée à sa collègue Manon Spiri. Et, bien sûr, le respect des délais de production. En sus des relations avec Clément Grandjean et Les Bandits, elle fait également le lien avec le photolithographe Dorian Rollin à Mulhouse en charge de la retouche et de l’harmonisation des nombreuses photographies, la traductrice des textes en allemand Stefanie Kuballa, les correctrices des textes Claire Couturier et Ulrike Ebenritter, le tout en coordination avec son alter ego au sein de l’équipe alémanique d’Helvetiq, installée à Bâle, l’éditrice Satu Binggeli.

L’ouvrage sortant simultanément, sous le label Helvetiq, à la fois en français et en allemand, les textes sont envoyés en traduction avant même les fichiers finaux – «Un travail d’équilibriste». Swiss Tattoo occupe Aude de septembre 2021 à l’été 2022. Elle suit par ailleurs une dizaine d’autres ouvrages d’Helvetiq en parallèle. «Mais celui-ci figure dans les trois gros projets de l’année.» Elle se considère comme un «parfait cobaye» pour le projet: «Je n’ai pas de tatouage et le sujet ne m’intéressait a priori pas particulièrement. J’étais donc la parfaite lectrice lambda puisque nous cherchions à créer un ouvrage qui intéresse tout le monde. Je pense que c’est très réussi: un livre intéressant pour les gens qui s’y connaissent et accessible à ceux qui découvrent cet univers.»

LA RESPONSABLE DE PRODUCTION: AURÉLIE FOUREL

Une fois le travail d’édition proprement dit maîtrisé, c’est Aurélie Fourel, responsable de production chez Helvetiq, qui traite avec l’imprimerie Jelgavas en Lettonie, où Helvetiq imprime une grande partie de ses ouvrages. Dès le début du projet, c’est elle qui a validé le choix du papier, nerf de la guerre, et l’a commandé: du papier de type Munken, agréable au toucher et opaque, essentiel à un livre avec des illustrations. Reste ensuite à s’assurer des transports, des livraisons et de la logistique générale.

Swiss Tattoo a été tiré à 5’000 exemplaires en version française et 4’000 exemplaires en version allemande pour une diffusion en Suisse, France et Allemagne. L’équipe de vente, de marketing et de communication prend enfin le relais de manière active, sous la houlette de Barbara Weus pour la Suisse romande, Eleni Karametaxas pour la Suisse alémanique et Alizée Dabert pour la France, sans oublier Hadi Barkat lui-même qui porte le projet à bout du bras auprès des médias et des libraires. Clément Grandjean imagine son livre vivre non seulement en librairie, mais aussi dans les studios de tatouage partout en Suisse, avec des vernissages, des apéritifs, des discussions. «Tout ce qui pourra inciter le public à pousser la porte de ces lieux magiques!» Quant à Hadi Barkat, il rêve d’une «grande conférence de Clément où tout le monde se mettrait à témoigner au sujet de ses propres tatouages». Le patron n’est pas tatoué, et ne prévoit pas de l’être. «Mais les tatouages racontent des histoires. Et moi, j’adore les histoires.»

Source:
Isabelle Falconnier, Magazine LivreSuisse n°4