Trois enfants – et des millions d’autres

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Portrait de Fabian Menor, Yrgane Ramon et JP Kalonji
©Helvetiq / ©Helvetiq / ©Guillaume Megevand

Helvetiq publie le bouleversant témoignage illustré de Kocholo, Sebemalet et Ehsan, trois jeunes requérants d’asile. Un roman graphique qui offre un autre regard sur la politique migratoire suisse, le cri d’une réalité effarante qui force à l’indignation.

Seuls en exil est le fruit d’une collaboration entre Fabian Menor, Yrgane Ramon et JP Kalonji. Les bédéistes s’engagent dans la cause des requérants mineurs non accompagnés. Ils mettent en texte et illustrent les destins de trois adolescents qui ont séjourné au Foyer de l’étoile, à Carouge. Peut-être ce nom vous est-il familier, c’est le lieu d’un drame survenu en mars 2019. Et c’est précisément cet événement tragique qui se situe au croisement des destins de Kocholo, Sebemalet et Ehsan, trois jeunes requérants dont l’album restitue les témoignages. Ce drame, c’est la mort d’Ali Reza, également pensionnaire du Foyer de l’étoile. Quelques jours après une violente altercation entre les adolescents et les agents censés veiller à leur sécurité, le jeune afghan, alors âgé de 18 ans, met fin à ses jours.

Si cet ouvrage est avant tout un témoignage à la mémoire d’Ali, c’est aussi le moyen de restituer la courageuse parole d’une jeunesse oubliée dont la trajectoire de vie nous échappe trop souvent. Ce livre fait le constat d’un échec, qui ne demande qu’à sortir de l’anonymat en dénonçant le racisme institutionnel, qui rend impossible aux jeunes migrants l’opportunité de se construire un avenir. L’arrivée en Suisse n’est jamais une fin en soi. Entre mots et images, les trois auteurs se risquent à raconter l’irracontable. La guerre, la fuite du pays, la traversée des mers et des déserts, les passeurs, les frontières... C’est le destin de trois enfants, et celui de millions d’autres. Ces vies sont racontées dans une langue sobre et concise, mettant en scène les difficultés liées aux barrières du langage; les trois auteurs les portent à notre regard avec un trait finement adapté et des jeux de couleurs maîtrisés, parvenant ainsi à nous faire entrer dans le nouveau quotidien des réfugiés mineurs. Ils racontent la désillusion, l’angoisse, le rêve, le fragile passage de l’enfance à l’âge adulte et néanmoins l’espoir et la vie. Cette collaboration s’est fixé la tâche douloureuse mais nécessaire de toucher en nous ce qu’il reste d’humanité. Pari tenu – et réussi.

Source:
Fabrice Imhof, Magazine LivreSuisse n°4