
Nicolas Couchepin, écrivain et traducteur, a présidé l’Association des Autrices et Auteurs de Suisse (A*dS) de 2019 à 2025. Il est l’auteur de plusieurs romans, dont Grefferic, Le Sel et Les Mensch, ainsi que de pièces de théâtre. Par ailleurs, il anime des ateliers d’écriture destinés à des personnes migrantes. À l’occasion de la conclusion de son mandat à la présidence de l’A*dS, nous lui avons posé trois questions.
Après six années passées à la présidence de l’A*dS, quel regard portez-vous sur cette association et son activité?
L’association évolue sans cesse depuis sa création pour s’adapter aux besoins d’artistes et artisans de l’écriture dans ses différentes expressions – poésie, traduction littéraire, spoken word, slam, bande dessinée, etc. Aussi bien personnellement que professionnellement et dans ma pratique d’écriture, la compréhension des nécessités artistiques et matérielles des autrices et auteurs, et la recherche d’outils pour tenter d’y répondre, m’ont été comme une «formation continue» extrêmement enrichissante, dont je suis très reconnaissant. J’ai une profonde admiration et un grand respect de ces gens qui font preuve de ténacité, de courage, d’endurance, qui affrontent souvent solitude et précarité, simplement pour dire le monde. Je sais que l’A*dS tente de répondre le mieux possible à ces besoins et nécessités, et même de les prévenir, et je suis très fier d’avoir contribué modestement à comprendre et à répondre à ces besoins et nécessités. Dans la période que nous vivons, particulièrement troublée, le rôle des artistes est primordial aussi bien que controversé. Il me semble que nos associations professionnelles sont indispensables pour faire en sorte que leurs conditions matérielles et organisationnelles facilitent les modes d’expression des artistes, autrices, traducteurs, poètes et autres engagés des littératures; l’A*dS, et d’autres associations se doivent de proposer un engagement au moins aussi tenace.
L’apparition de l’intelligence artificielle (IA) préoccupe bien des professionnel·les du livre. Comment l’A*dS aborde-t-elle cette question?
Sous plusieurs angles différents. D’abord, l’angle «pédagogique»: l’association a organisé depuis quelques années rencontres, ateliers et manifestations pour éveiller l’attention des autrices et auteurs sur les risques que l’IA présente envers la profession, pour les aider à comprendre quelle est la nature du risque, mais aussi pour les familiariser avec les possibilités qu’elle ouvre. Après tout, en tant qu’instrument, certes très sophistiqué, mais inerte tout de même, l’IA n’est rien d’autre qu’une caisse de résonnance du génie et de la créativité des êtres vivants. Ensuite, l’angle politique et du lobbying: avec d’autres association et le European’s writers Concil, nous œuvrons pour que les thèmes liés à l’IA et la création – droits d’auteurs, accaparement des ressources etc. soient entendus ou mieux compris par les décideuses et décideurs politiques. Enfin, l’angle informatif: on se tient au courant au jour le jour des initiatives de celles et ceux – festivals, artistes – qui s’emparent de cet instrument, ou qui, au contraire, cherchent à s’en éloigner en étudiant ses limites et ses contraintes, qui sont en réalité très visibles, notamment en ce qui concerne la traduction littéraire. Nous étudions les résultats des études faites sur le sujet et des réponses que d’autres trouvent ou tentent d’apporter à la question, et nous les faisons connaître à nos membres.
Y a-t-il un souvenir qui aura marqué votre mandat?
Le covid a été une drôle de période, il a fallu être très inventifs pour faire en sorte que nos membres ne se sentent pas trop isolés… Paradoxalement, cela a fini par être un moment de rencontres privilégiant l’authenticité et la sincérité, ce qui a été riche et encourageant pour le comité, et l’association.
La guerre en Ukraine, les atrocités du 7 octobre et celles qui en résultent aujourd’hui sont aussi des moments clefs de mon mandat de président; nous avons été exhortés, en tant qu’association, à prendre position, ce que nous ne pouvions faire directement, parce que nous devions rester un interlocuteur fiable pour chacun de nos membres, quelles que soient leurs idées et leurs indignations. On nous a reproché de ne pas nous engager politiquement, et il a fallu insister sur le fait que notre rôle était de faire en sorte que les autrices et auteurs puissent s’engager, et non pas de nous engager à leur place. Pour moi personnellement, ce rôle de «neutralité» a été très difficile à tenir. Et si j’ai une seule raison de me réjouir de céder ma place de président, c’est celle-ci: je n’aurai plus besoin de penser associatif, collectif, modératif, je pourrai me remettre à chercher ma voix personnelle, mon sens critique intime et mon observation individuelle du monde. Redevenir le centre de mon monde, quoi! Je m’en réjouis beaucoup.