Le dynamisme éditorial romand offre aux lecteurs un choix royal que les parutions étrangères, bien plus nombreuses encore, rend presque infini. Ce réjouissant constat ne va toutefois pas sans interpeller. Concrètement, cet éventail n’est-il pas déjà le résultat d’un rigoureux processus de sélection, à commencer par celui des éditeurs? Or, à l’heure où les outils techniques sont devenus aussi accessibles que les livres qu’ils permettent de produire, le foisonnement des parutions interroge notre rôle d’éditeur, de moins en moins évident aux yeux du public.
Il est vrai que nous jouons à la frontière, entre l’auteur et le lecteur. Cet intervalle qui ne paraît pas plus épais qu’une feuille de papier imprimée, c’est d’ailleurs le but, s’étend en vérité dans toute la distance déployée entre le texte et sa résonance. Décider d’éditer, c’est entendre cette vibration, parfois lointaine. Puis c’est se mettre à son service pour la rendre la plus saisissante possible. Nous nous glissons ainsi dans chaque recoin du manuscrit, en décortiquons chaque formule, en polissons les aspérités, les effets, le rythme et la cohésion. Au fil des échanges, des jeux d’épreuves, des sacrifices frustrants ou heureux, la proposition s’aiguise. Vient enfin l’œuvre imprimée; alors toutes ces décisions disparaissent pour laisser dialoguer l’auteur et le lecteur sans intermédiaire.
Quel que soit notre ligne éditoriale, nous engageons notre responsabilité dans cette promesse de rencontre. La diversité des œuvres reflète celle des subjectivités, et donc une véritable richesse. Toutefois, au creux de cette science qui est tout sauf exacte, un risque guette: abandonner notre rôle invisible dans l’intervalle pour laisser, en réalité, la frontière vacante. Au regard de la (sur)production de nouveautés, dont la rotation effrénée met toute la chaîne du livre sous tension, la question taraude: y a-t-il toujours plus d’auteurs ou toujours moins d’éditeurs?
Sur ce point, je trouve cependant l’édition romande rassurante. Majoritairement animée par des petites structures, les convictions y sont moins susceptibles d’être infléchies par les contraintes économiques d’un certain volume de productions. L’authenticité des relations entre les auteurs, lecteurs, éditeurs, libraires, diffuseurs, bibliothécaires, journalistes et tant d’autres acteurs essentiels du livre en Suisse romande en témoigne. Et je ne saurais dire combien je l’apprécie.