Coup de coeur

Roman doux et d’une grande sensibilité. Le texte écrit à la première personne par Agathe, qui rentre dans son Périgord natal pour vider la maison familiale. Elle y retrouve sa sœur, Vera. Comme une sorte de journal de bord, ces huit jours sont égrenés, les pièces vidées les unes après les autres et pourtant on a l’impression de vivre un voyage hors du temps. Agathe revit certains gestes en se replongeant dans la maison de son enfance, après un éloignement de presque 15 ans. Elle revient en spectatrice du passé et, simultanément, en actrice de cet instant de vie à vivre au présent. Les deux sœurs, très fusionnelles enfants, peinent à se livrer. Leur intimité forcée va être une épreuve tout autant qu’un moyen de trouver enfin un certain apaisement. L’aphasie de Véra crée un mode de réflexion très introspectif chez sa sœur. Les mots n’ont pas la valeur des regards, des observations, des détails qui permettent, dans le silence, d’appréhender l’autre. 

Des souvenirs d’antan aux femmes qu’elles sont devenues, Agathe et Véra retissent des bouts de leur jeunesse pour pouvoir laisser derrière elles l’amertume qui s’était déposée sur leur relation. On sent une certaine peur de la vraie rencontre entre elles « Nous avions les mêmes timidités. Les mêmes craintes de la vie sociale. Notre langue de silence et de cris nous a réunies ». 

Agathe arrange ses souvenirs pour préserver finalement le pouvoir résilient des lieux. Il y a aussi Irvin, son compagnon, et Octave l’ami d’enfance, dont la famille est propriétaire du Pigeon Froid, le château voisin. Ainsi, les lieux et les personnages ne servent qu’une cause, celle de la sororité et de l’indispensable réappropriation de sa propre vie dans le lien familial.

La subtilité de l’écriture réside dans une maîtrise absolue de cet art des silences. Elisa Shua Dusapin excelle dans cet exercice qui révèle une puissante délicatesse.