Aux maisons de nos souvenirs

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Portrait de Julien Burri
©Mercedes Riedy

Dans Roches tendres, le Vaudois Julien Burri nous conte son rapport aux lieux et aux souvenirs, sa quête et sa défaite face au temps.

Roches tendres, ce sont des fragments de souvenirs, des bribes de présent, des pensées du narrateur, qui surgissent au détour d’un objet, sous la caresse d’un rayon de soleil, dans le détail d’une photographie. L’auteur nous les livre dans de courts paragraphes, comme autant de respirations, à un rythme lent, propice aux divagations personnelles. La musique de ses mots, tout en couleurs et en nuances de lumière, accompagne la nostalgie et la solitude du texte.

Le livre de Julien Burri se rapproche plus d’un récit poétique que d’un roman. Une femme mystérieusement disparue, sur les traces de laquelle le narrateur se lance, en constitue le fil rouge. Mais celui-ci laisse un goût d’inachevé, ressemble à une trame prétexte. L’essentiel est de retrouver la maison de l’enfance, où les deux se sont connus, puis de déambuler dans les rues de Lausanne, dans les vignobles et la forêt. Ce sont surtout les moments passés dans la vieille ferme familiale abandonnée qui retiennent l’attention, qui deviennent le cœur pulsant de l’ouvrage. Ainsi, Burri fait revivre ses murs, ses habitants, mais aussi les propriétaires qui l’occupaient avant la famille du narrateur, ces gens dont le souvenir s’est éteint, dont «la pierre des murs a absorbé les paroles et les silences».

L’auteur sonde la mémoire, et particulièrement son incomplétude, car les mots sont fugaces: «on tente de suivre l’oiseau, sans l’attraper, et déjà les choses que l’on souhaite nommer se sont envolées». Mais ce faisant, il travaille également la molasse, cette matière friable et humble, utilisée pour bâtir les larges murs de nos campagnes. Habilement, il lie ainsi l’immatériel, volatile, perdu à chaque génération, au matériel, cette pierre qui garde en elle les traces de ceux qui la côtoient. La molasse semble résistante mais n’est que sable, «elle porte en elle la nostalgie des sommets/elle est vouée à disparaître». C’est la notion du temps, finalement, que Burri explore: même les demeures solides de notre enfance s’évanouiront, le sable s’effritera et emportera avec lui les souvenirs qu’il contenait. Roches tendres, par son ton mélancolique et son attention portée aux maisons qui nous ont vu grandir, nous invite à retourner sur les lieux de notre mémoire, à chérir ces murs, tout en laissant s’écouler le temps et s’évanouir les souvenirs.

Source:
Katia Dubey, Magazine LivreSuisse n°3