Un barrage dans les collines du Karnakata

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Portrait de Kamala Markandaya
©DR

Publié pour la première fois en 1969, Le Grand Barrage, roman épique et visionnaire signé de l’Anglo-Indienne Kamala Markandaya, est enfin traduit en français.

Un grand barrage s’érige dans le Sud de l’Inde récemment indépendante, au cœur d’une forêt dense et tropicale de la région du Karnataka. Au commande de ce chantier grandiose et dantesque, un ingénieur britannique à la volonté de fer, Clinton. Lui, son équipe rapprochée d’adjoints et contremaîtres, les ouvriers anglais ainsi que la main d’oeuvre indigène engagée pour le chantier, s’installent dans une ville éphémère déconnectée du reste du monde. Clinton a planifié un chantier de trois ans. Mais bientôt, malgré la précision de ses plans et des premières étapes de la construction, Clinton se heurte aux imprévus humains, aux accidents techniques et à la puissance implacable de la nature, sous-estimée par les Occidentaux, vite dépassés par la formidable mousson qui dévaste tout sur son passage. Clinton perd pied et voit son autorité contestée, d’autant plus que sa femme Helen, qui l’a suivi en Inde, ne partage pas l’ambition dévorante de son mari et s’intéresse aux habitants, tissant avec eux des liens que la morale coloniale réprouve.

Publié une première fois en 1969, redécouvert en 2020 dans les pays anglo-saxons, Le Grand Barrage est traduit pour la première fois en français par Christine Raguet pour les éditions Zoé. C’est un événement: son auteure, Kamala Markandaya, née à Madras en 1924, morte à Londres - où elle s’était installée en 1948 - en 2004, est une figure majeure de la littérature postcoloniale et, d’une manière générale, de l’histoire littéraire anglo-saxonne moderne. Son premier roman, Le Riz et la Mousson, lui vaut un succès mondial en 1954. Si plusieurs de ses ouvrages sont alors traduits en français, ses romans suivants ne connaissent pas le même succès et depuis plus de vingt ans, son nom était tombé dans l’oubli.

Le Grand Barrage, bien qu’écrit il y a plus de cinquante ans, semble nous être destiné: frictions entre les communautés, volonté de soumettre la nature, tensions entre la modernité galopante et les savoirs ancestraux, racisme larvé, dépassement de soi, ces thèmes importants s’entremêlent ici avec talent, subtilité et une grande intelligence. La figure d’Helen, jeune femme indépendante, sensuelle et anticonformiste, peu incline à jouer les femmes serviles, qui ose s’élever contre les injustices autour d’elle, s’impose comme un beau portrait de femme en avance sur son temps. Lucide, empathique et pacificatrice, c’est elle qui illumine l’entier du roman et nous reste en mémoire longtemps après la fin cataclysmique.

 

Source:
Isabelle Falconnier, Magazine LivreSuisse n°3