L’amitié au prisme de la roche

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Portrait de Fanny Desarzens
©DR

Si Galel n’était pas un livre, ce serait une sculpture, modelée par la montagne même, elle qui polit l’amitié de Galel, Paul et Jonas au fil de leurs rencontres annuelles et de leurs expéditions sur ses flancs.

Parcourir les mots qui jalonnent le premier roman de Fanny Desarzens c’est s’émerveiller avec Paul et Jonas de l’étonnant Galel dont on dit qu’il «a l’air d’un enfant» et que «ça fait bizarre de le voir dormir parce qu’il avait exactement le même visage que lorsqu’il était réveillé». En partageant des rires, la soupe et le pain autour d’un bon verre de vin, les trois hommes voient leur amitié évoluer au fil des retrouvailles au refuge nommé Baïta, puis être contrainte de trouver de nouveaux chemins lorsque le corps du robuste Galel vient à vaciller.

Arpenter Galel c’est se conformer à un rythme organique lorsqu’il faut subir la désalpe à l’instar du bétail et voir Jonas et Paul exercer un métier éprouvant, vivant «un peu malgré eux», avec «cette indifférence qui altère leurs jours» mais armés de la «persévérance» nécessaire pour attendre le retour de l’altitude. Pourtant, l’impersonnalité du style, l’économie de marqueurs contextuels et la présence de quelques références bibliques assurent une temporalité éthérée à ce milieu montagnard par ailleurs très incarné.  

Lire Galel c’est aussi se confronter à la question de la tradition bien enracinée d’une littérature suisse, celle qui retrace le style oralisant, truffé de phrases simples et de pronoms on, du grand Ramuz que l’on semble parfois entendre murmurer, tant l’inscription dans son héritage est frappante. Mais les noms de lieux semblent ici inventés, universalisant par là même l’ancrage national transmis par le style.

Entre tradition et tentative d’appropriation, la jeune autrice diplômée de la HEAD nous propose de porter à nouveau notre regard là-haut, en direction de cette grande coulisse qui est la nôtre, nous interrogeant ainsi sur le rapport qu’instaure cette langue simple, incisive, impersonnelle et oralisée avec la montagne qui est le sujet même de son expression. Comment trouver une langue à soi dans la saveur de celles qui nous ont marqué·e·s? C’est sans doute l’enjeu de toute relation aux figures tutélaires et c’est un chemin sur lequel Fanny Desarzens est en route; nous la suivrons dans sa montée.

Source:
Justine Wermelinger, Magazine LivreSuisse n°3