La Baobabia

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Portrait de Nétonon Noël Ndjékéry
©Inès Gaulis

Dans son nouveau roman, Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, Nétonon Noël Ndjékéry retrace les faits historiques de la traite négrière transsaharienne en Afrique au XIXe siècle et plus particulièrement au Tchad, dans une région que l’auteur nomme la Baobabia.

C’est à une traversée de près de deux cents ans de l’histoire violente de l’esclavagisme en Afrique que nous convie Nétonon Noël Ndjékéry, auteur suisse né au Tchad. Cette traversée, nous la débutons en compagnie d’un trio composé de Tomasta Djigari qui saisit l’opportunité de fuir au côté de la Yéménite Yasmina, esclave sexuelle, et de Zeïtoun, un jeune adolescent qui se joint à eux à la suite de sa propre évasion. Tous les trois entreprennent un long voyage, fuyant «une existence servile», pour aboutir sur une mystérieuse île circulaire au milieu de la Grande Eau, qui tourne sur son axe à la manière d’une planète. Leur communauté fraternelle indépendante s’invente bientôt comme un refuge pour de nombreux autres personnages cherchant à échapper à une humanité animalisée; elle devient un horizon voire une utopie paradisiaque, au sein de laquelle les anciens captifs peuvent poursuivre le déroulement de leur vie interrompue.

Mais comment réussir à vivre lorsque l’asservissement de leur vie antérieure est gravé jusque dans leur être, dans leur chair? Comment vivre avec l’empreinte de l’autre, dont l’auteur donne un exemple avec la pratique exercée par le négrier soudanais Rabbah Fadlallah (vers 1842-1900) qui ordonna que chaque nouveau-né mâle soit marqué par son sceau, «une incise formée de deux petits segments, parallèles et horizontaux, reliés par un trait oblique». Un marquage qui, parfois, se perpétue encore de nos jours…

Ndjékéry compose cette fresque au moyen de récits individuels enchâssés, entremêlés et associés à la tradition orale des mythes et des légendes. La littérature se révèle un puissant instrument de libération par le savoir. Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis nous confronte à des épisodes brutaux de l’histoire, tels que la colonisation et l’essor de Boko Haram, des faits difficiles à lire mais sur lesquels il est essentiel de ne plus fermer les yeux. Ndjékéry s’efforce de lever le voile déposé sur son pays, le Tchad, pour libérer la parole de tous ceux et toutes celles qui ont été asservi·e·s. «Ah, comme elle s’enivrait de son propre sang jusqu’au vertige cette humanité qui se vautrait dans la bestialité à la manière d’un ivrogne barbotant dans la flaque glauque de ses propres vomissures.»  

Source:
Raissa Santos Correia, Magazine LivreSuisse n°3