Que de surprises dans la hantise!

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Portrait de Daniel Sangsue
©A.S.

Saisissant notre main pour nous guider à travers son univers, Daniel Sangsue joue avec nos attentes, les exploite, et va même jusqu’à les malmener. Récit délectable, Les fantômes du presbytère dépoussière de vieux spectres, pour les parer de couleurs vives et modernes.

Qui voudrait vivre dans un ancien presbytère du XVIIIe siècle, accolé à une église et donnant une «vue imprenable» sur un lugubre cimetière? Spécialiste de la pneumatologie, science des fantômes et des esprits, le narrateur décide d’aller fouiller ce lieu gorgé de mystères. Tables tournantes, chauve-souris et apparitions nocturnes... le récit fourmille rapidement de clichés fantastiques. Nous sommes alors plongé·e·s dans une hésitation bien connue: les bizarreries que vivent les protagonistes sont-elles attribuables à des consciences fantomatiques? On s’ennuierait presque avec ce début de roman, somme toute très classique et truffé de références littéraires qui encombrent nos émotions.

Mais c’est sans compter sur l’étrange intention du narrateur, qui est déterminé à entrer en contact avec ce qu’il identifie comme une «âme en peine». Suivant le rythme de ses recherches, nous sommes alors propulsé·e·s dans un nouvel univers, où le fantastique prend des allures comiques, et où les sourires se superposent aux hantises. On attendait pourtant tout sauf des esprits complices et farceurs! Tapi dans l’ombre d’un récit aux allures auto-fictives, Daniel Sangsue semble nous faire des clins-d’œil... Quoi de plus agréable que de voir imploser ce qui avait tout l’air d’un «fatras fantastique», et de se laisser emporter par les virevoltes de ces fantômes dépoussiérés!

Évoluant avec ce déploiement de l’intrigue, la manie citationnelle de l’auteur – lui-même professeur de littérature – s’appréhende alors d’une toute autre manière. Stendhal, Hugo, Bernanos… comparables à des bouches d’ombre, ces références sont si bien intégrées qu’il n’apparaît plus nécessaire de les connaître. Cet ensemble de voix en vient à nous questionner sur la littérature: à trop s’imprégner de romans, n’est-il pas possible de s’y perdre? N’est-ce pas ce qui arrive aux protagonistes – et à l’auteur? – des fantômes du presbytère? Aussi charmants que dangereux, ces textes-fantômes nous invitent à une délicieuse réflexion, qui ne cesse de se poursuivre. Quel surprenant renouvellement du fantastique et de la hantise!

Source:
Loïc Ceriani, Magazine LivreSuisse n°3