Vivre avec et pour le livre

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Portrait de Michel Moret
Michel Moret © DR

Remontons au début de mon lien aux livres: mon apprentissage de libraire. Une chance. Celui qui m'a engagé en 1967 a joué un rôle clef dans ma vie car l’important c’est le déclic provoqué par une rencontre. Ce métier nous métamorphose en permanence en nous permettant d’enchaîner les rencontres. Il nous ouvre les chemins de la connaissance et de la beauté. Il y a peu de choses à y apprendre par rapport à un mécanicien ou à un agriculteur. Pour livrer des nourritures spirituelles le savoir technique est moindre. La comptabilité est facile à intégrer. Jadis, il fallait mémoire et force physique car en une journée on transportait des centaines de kilos de livres. On ne se méfie jamais assez du poids des mots!

Un enchaînement de circonstances a fait de moi un éditeur. Les caractéristiques de cette profession sont les mêmes, goût de la transmission et enthousiasme. Le livre nous permet d’accéder à la vertu au sens noble du terme et à l’épanouissement personnel. Fréquenter les dieux de l’écriture: Cervantes, Shakespeare, Montaigne, Tolstoï, Victor Hugo, les sages chinois, etc., c’est ne plus pouvoir s’en séparer. Le matin, on prend son café en pensant à Paul Valéry, à midi on déjeune avec Marguerite Duras et Romain Debluë. Le soir, on détasse avec délectation les nouveautés sur sa table de nuit.

Quand on est éditeur, on espère chaque matin sur son bureau le prochain ange gardien, celui qui nous parle sans cesse, qui élève notre pensée. En librairie, on espère croiser un client sensible au rayonnement né de nos lectures. En tant qu’éditeur, on souhaite permettre à d’autres de rayonner par leurs mots imprimés ou par ceux de son catalogue. Cela étant dit, il faut savoir que l’intensité de notre rayonnement dépend de notre vie intérieure et de notre humilité, qui conditionnera également nos rapports avec autrui. Sans humilité pas de profession possible. Plus on s’efface, plus notre personnalité s’impose, c’est une loi de l’esprit. Cette même humilité, on la retrouve dans toutes les professions qui se débattent avec l’infini.

Après cinquante ans de métier, je ne sais pas grand-chose mais me sens empli de choses sans nom qui déterminent je l’espère le style de l’Aire. Je continue de croire qu’un état d’esprit positif efface toutes les fatigues et toutes les petites vexations de la vie quotidienne. C’est une porte ouverte sur le savoir et sur l’art d’aimer.

 

Source:
Michel Moret, Magazine LivreSuisse n°5