«Non, le monde de l’édition n’est pas machiste!»

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Portrait de Caroline Coutau
©Arno Paul

Directrice des éditions Zoé depuis 2011, l’éditrice genevoise Caroline Coutau est également présidente de LivreSuisse. Elle assiste avec confiance à l’influence grandissante des femmes dans le métier.

Vous êtes une femme autant qu’une éditrice. Le monde de l'édition est-il un monde masculin, voire machiste?
Le monde du commerce et des affaires peut-être, mais pas celui de l’édition en particulier. Avant de rejoindre Marlyse Pietri aux éditions Zoé, j’ai eu un patron, qui m’a formée, puis une patronne. À Genève, je peux citer plusieurs figures marquantes de l’édition au féminin, telles Eugénie Droz, arrivée de Paris pour installer la maison Droz à Genève en 1948, puis Marlyse Pietri et la belle histoire des éditions Zoé, Michèle Stroun ou Francine Bouchet, fondatrices respectivement des éditions Métropolis et La Joie de Lire. En France, longtemps les grands groupes étaient dirigés uniquement par des hommes, souvent appelés «dieux» dans le milieu avec plus ou moins de tendresse ou d’ironie, mais cela change très rapidement. Et personnellement, j’ai autant d’admiration pour des hommes éditeurs comme Jérôme Lindon, mythique directeur des éditions de Minuit, que pour des femmes éditrices comme l’américaine Barbara Epler, présidente de New Directions à New York.

 

Qu’en est-il du reste de la chaîne du livre, des imprimeurs aux libraires? Le fait d’être une femme vous a à certaines reprises à votre avis desservi?
Dans le monde de la diffusion distribution ou des grandes librairies, il y a en effet plus d’hommes et certains d’entre eux vous intimident volontiers avec une langue de bois commerciale. Il m’est arrivé de passer quelques mauvais quarts d’heures coincée entre deux machos qui prenaient un évident plaisir à intimider la femme que je suis! Ça ne s’est pas passé souvent, mais je m’en souviens d’autant mieux. 

 

On assiste en France à une féminisation de l’édition, avec plusieurs femmes qui reprennent les postes de patronnes disponibles. Le constatez-vous aussi en Suisse romande?
De nombreuses nouvelles structures émergent depuis une dizaines d’années. Certaines ont déjà disparu, d’autres se développent bien et font un très beau travail. Il y a aussi un certain nombre de maisons que le fondateur ou la fondatrice transmet, souvent à une femme, effectivement. Le partage entre les hommes et les femmes me semblent harmonieux. En tous les cas, les manuscrits qui arrivent aux éditions Zoé sont de moins en moins souvent adressés à «Monsieur le directeur».

 

La structure fragile et modeste de la plupart des maisons d’édition en Suisse romande est-elle un avantage ou un obstacle au fait que les femmes s’y engagent?
Là encore, je ne ferais pas de distinction basée sur le genre. Il faut être pugnace quand on est éditeur, d’autant plus si vous êtes basé en Suisse romande face à la France. Vous pouvez décider de ne pas diffuser vos auteurs en France et en Belgique, ce n’est pas mon cas. Les auteurs du catalogue Zoé valent la peine de se battre pour exister en France. Cela suppose de la patience, pas mal d’humilité et de l’énergie. Si l’une de ces caractéristiques est plus féminine que masculine, je ne sais pas.

 

Comment êtes-vous arrivée dans l’édition? Est-ce une profession valorisée auprès des jeunes filles?
Non, je n’ai jamais entendu cela. J’ai fait les Lettres à l’université: en effet, il y avait beaucoup de filles, plus que de garçons. Ce sont des études qui ne vous forment à aucun métier spécifique, mais vous donnent une solide culture générale et une méthode de travail. Ensuite à chacun de se débrouiller, se former ailleurs. J’ai transpiré pour apprendre à lire un bilan ou un compte d’exploitation - aujourd’hui, c’est presque un jeu, donc un plaisir.

 

Comment peut-on être une éditrice féministe? En publiant davantage de femmes ou en accédant aux postes de pouvoir ou d’influence dans le domaine?
Je ne me considère pas comme une éditrice féministe. Je publie beaucoup d’auteures femmes parce que ce sont des écritures de qualité, pas parce que ce sont des femmes. Je ne sais même pas combien d’hommes, combien de femmes sont publié.e.s chaque année au catalogue Zoé!

 

Comment amener plus de femmes non seulement à l’édition, mais à la direction des entreprises d’édition?
Je souhaite que la génération des 20-40 ans investisse ce métier avec toujours plus de confiance en elles et de professionnalisme! Qu’elles demandent sans le moindre scrupule de partager le soin et l’intendance aux pères si elles ont des enfants! En matière de formation ensuite, il y a des manques à combler en Suisse romande, clairement. Une formation de type CAS ou DAS serait extrêmement bienvenue. Nous pourrions imaginer une formation d’un an se terminant par un stage de quelques mois, où que ce soit dans le monde. Cette formation proposerait des interventions de professionnels de tous horizons et de tous pays: marketing, beau-livre, imprimeurs, réseaux sociaux, grand libraire, grand auteur, grand éditeur, comptabilité, histoire de l’édition, diffusion, creative writing, etc. J’en rêve, d’une telle formation, et j’espère bien qu’elle deviendra un jour réalité.

Biographie

Née à Genève, formée à la fois en Lettres et en danse contemporaine, Caroline Coutau a travaillé aux éditions Labor et Fides puis chez Noir sur Blanc. Entrée aux éditions Zoé à Genève en 2008, elle en a pris la direction en 2011.

Les éditions Zoé

Créée en 1975 par Marlyse Pietri, puis dirigée depuis 2011 par Caroline Coutau, la maison d’édition Zoé publie environ 25 livres par an, nouveautés et livres de poche compris. Parmi ceux-ci, la nouvelle génération d’écrivains de Suisse romande, des voix anglo-saxonnes inédites du Commonwealth et des auteurs alémaniques classiques ou contemporains. Non sans oublier les classiques romands, tels Ramuz ou Gustave Roud.

Source:
Propos recueillis par Isabelle Falconnier. Magazine LivreSuisse n°1