Coups de cœur de nos libraires

Coups de coeur complet

Coup de cœur - Nimbe noir

Librairie nouvelles pages

Les travaux de Karelle Ménine sont de grande qualité et plutôt que de nous donner des réponses ils nous font nous interroger à l’instar de son dernier livre.
Avec Nimbe noir publié aux éditions Labor et Fides dans la très belle collection lignes intérieures, l’autrice nous offre un texte de l’intime tout en allant vers l’autre.

Le livre s’ouvre ainsi :
Vous m’avez demandé d’écrire sur ma relation à Dieu.
Vous me l’avez demandé.
Vous avez ajouté : « Même une non-relation ».
Et cela a tout permis.
Mais comment, à présent, transmuer cela en mots ?

Pour répondre à cette si difficile question, lui est alors revenu en mémoire l’image d’une femme priant dans le silence d’une abbaye, qui l’avait marquée enfant. Elle part et nous fait rencontrer des femmes et des hommes de différentes cultures et croyances, pour se questionner, pour voir l’autre, les comprendre et les accompagner jusqu’à l’émouvant voyage à Sobibor relaté en deuxième partie pour un hommage à une jeune femme morte dans ce camp d’extermination nazi.
Elle s’interroge et nous fait nous interroger. Elle ne répond pas clairement à la question mais on perçoit tout son cheminement avec la force de son écriture, ou chaque phrase est soignée, ou chaque mot est précis et utile.
 

Coup de cœur - Tamam

Librairie nouvelles pages

C’est en Turquie que se déroule le très beau Tamam publié aux éditions de La Baconnière. Chronique d’un voyage où l’écrivain Maxime Maillard entremêle savamment les histoires, les siennes plus intimes, avec celles d’un pays en mouvement. Porté par une écriture ample et poétique, le récit s’ouvre à Istanbul où se concentrent deux temps forts pour l’auteur: des retrouvailles avec Larisa, son amoureuse venue de Russie, et la mission spéciale de couvrir journalistiquement la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée. Le voyage se poursuit à travers le pays, et les aventures aussi: de la Cappadoce au bord de la mer Égée en passant par la ville de Konya. C’est en fin observateur que Maxime Maillard retrace au fil de ses pérégrinations une série d’instantanés aussi puissants qu’impromptus; des scènes de vie, des anecdotes de rencontres, des descriptions de paysages, ses ressentis teintés d’une touche d’autodérision. Un enchantement!

 

Coup de cœur - Willibald

Librairie La Méridienne

D’abord plasticienne, Gabriella Zalapi s’est prise au jeu de l’écriture. L’histoire familiale lui sert de terreau dont elle creuse la matière afin de nous restituer des bribes de vies. On est happé dès la première ligne, non seulement par les destins humains mais aussi par la qualité littéraire. Si vous aviez déjà fait la connaissance d’Antonia dans le premier roman de Gabriella Zalapi, vous n’avez certainement pas oublié Willibald qui cette fois est le protagoniste du nouveau récit de l’autrice.
Dans un texte, tout en délicatesse, parsemé de photographies d’archives familiales, on part sur les traces de cet homme, juif viennois qui fuit l’Autriche en 1938 en emportant avec lui un tableau intitulé Sacrifice d’Abraham. Depuis toujours intriguée par cette peinture, accroché longtemps aux murs de l’appartement familial, Mara questionne sa mère Antonia pensant que celle-ci pourra l’éclairer sur le parcours de cet aïeul et de sa famille éclatée. D’Antonia « qui sait mais ne sait pas », elle apprend finalement peu de choses mais la découverte de la correspondance de Willibald va permettre d’éclairer quelques zones d’ombre.
Le premier roman intitulé Antonia était déjà une petite pépite littéraire et dans Willibald, l’auteure se surpasse en maîtrise d’écriture. De la dentelle pour nous tisser un réseau de vies humaines passionnant.

Coup de cœur - Trois générations

Librairie Basta!

Séoul, fin des années 1920. La Corée se trouve sous domination japonaise. C'est l'histoire de la famille Jo, où trois générations se côtoient: le grand-père, patriarche autoritaire et conservateur, le père, modern boy, converti au christianisme, faible et débauché, et le petit fils, étudiant, marié et père de famille, sympathisant des marxistes pourchassés par le gouvernement. Dans ce récit, d'abord paru sous forme de feuilleton en 1931, s'entremêlent intrigues familiales et politiques où l'auteur dépeint une société en pleine mutation. À la frontière entre le roman réaliste et le roman policier, les rebondissements nous tiennent en haleine jusqu'au bout du livre, résolument moderne pour son époque et devenu un classique de la littérature coréenne.

 

Coup de cœur - Vladivostok circus

Librairie Basta!

Dans ce nouveau roman, Elisa Shua Dusapin emmène les lecteur et les lectrices loin en Sibérie, à Vladivostok. Nathalie, début de la vingtaine et récemment sortie d’une école de costumière, rejoint un cirque en fin de saison pour créer les tenues d’un trio de barre russe. Anna, Nino et Anton se préparent au concours international d’Oulan-Oude qui aura lieu quelques semaines plus tard. Dans cette ville tout au bout de la Russie, dans ce cirque déserté pour l’hiver où le froid se fait plus perçant et où les jours raccourcissent, ces quatre personnages devront apprendre à se connaître et à se faire confiance, au risque de tomber et de se briser. Entre silences et tensions, Elisa Shua Dusapin instille aussi de la douceur dans ce récit dont les images fortes nous imprègnent et nous poursuivent bien après avoir tourné la dernière page.

Coup de cœur - Révolution aux confins

Librairie Basta!

En 1886, les Philippines sont plus que jamais sous le joug de l’Espagne, où les tensions entre colonisés et colonisateurs se font de plus en plus fortes. José Rizal, lui, se trouve en Europe pour ses études d’ophtalmologie. Il passe par la péninsule ibérique bien sûr, mais aussi par Paris, Heidelberg et finalement Leipzig, où il restera deux ans. Médecin mais aussi poète, romancier et artiste, il s’attèlera à plusieurs traductions de l’allemand au tagalog, dont le Guillaume Tell de Schiller. Annette Hug raconte cette période de la vie du jeune révolutionnaire Philippin. Comment exprimer dans son langage un paysage alpin lorsque, dans les deux langues, certains termes n’existent pas? Le lac des Quatre-Cantons devient alors océan et les montagnes se font volcans. Biographie romancée jalonnée de réflexions sur la langue, l’autrice met en littérature ces deux révolutions, l’une légendaire en Suisse centrale et l’autre à venir aux confins de l’Asie.
 

 

Coup de cœur - Le voisin

Librairie Le Rat Conteur

C’est un livre 100% suisse que nous vous présentons ici. Une histoire un peu loufoque, sans texte, qui met en scène deux voisins au train de vie complètement différent. L’un est plutôt tatillon et solitaire, tandis que l’autre aime recevoir du monde et faire la fête. Pas toujours évident de cohabiter quand on est si opposés! Mais parfois, il suffit de peu de choses pour trouver un terrain d’entente!

Un chouette album que les petits pourront découvrir tout seuls. Les illustrations fraîches et pétillantes de Walid Seragéldine donnent un côté complètement réaliste à cette querelle de voisins. Une bonne tranche de rigolade!

 

Coup de cœur - Sans alcool et autres nouvelles

Librairie Saint-Augustin

Les Éditions Zoé ont réédité en 2020 le recueil de nouvelles «Sans alcool» d’Alice Rivaz publié en 1961 à la Baconnière. Réédition qui complète la grande activité autour de cette autrice majeure de la littérature suisse romande avec notamment l’exposition au Palais de Rumine: Alice Rivaz présence des femmes.
Alice Rivaz maitrise parfaitement l’art de la nouvelle. Dès les première phrases le ton est donné, on est projeté dans le quotidien des protagonistes. Il n’y a rien de superflu, l’écriture est sobre, directe mais non dénuée de poésie et on avance inexorablement vers une fin que l’on devine rarement joyeuse. Rarement joyeuse car tous ses thèmes chers sont présents. La précarité et la solitude comme dans «Le piano de mademoiselle Lina». Cette dernière à la retraite dépérit car sans le sou et délaissée, elle s’ennuie, elle se meurt; ou dans la nouvelle éponyme où à la solitude s’ajoute le chômage. Misère financière, misère sociale. La domination patriarcale et le poids moral d’une religion rigoriste sont aussi largement présents comme dans «Une Marthe», prénom symbolique, soumise à son père, ses frères puis, pensant s’émanciper grâce au mariage, à son époux.
En lisant ce recueil aujourd’hui, on peut y trouver une certaine passivité, une résignation. Ces femmes ne s’inscrivent pas dans un combat, mais elles sont conscientes de leur statut. Marthe fait une analyse très revendicative de sa situation. Elle enrage de voir son père et ses frères lire alors qu’elle doit sans cesse raccommoder. Elle imagine leur tête si ses doigts n’étaient plus occupés.

Au-delà de la beauté de l’écriture, il est intéressant de constater que si une évolution a eu lieu malheureusement, certains thèmes sont toujours d’actualité.

Encore juste quelques mots sur le livre lui-même. Sa jaquette colorée et rétro avec une femme et un homme dos à dos accroche l’œil et nous plonge dans l’ambiance.

 

Coup de cœur - Le deuxième pas

Librairie Page 2016

Comment dire la douleur? Celle qui vous talonne jour après jour, celle qui vous lamine? Comment l’apprivoiser? Damien Murith, touché lui-même dans sa chair, porte loin l’écho de sa réponse… Ici, nul «témoignage», larmoiement, apitoiement ou complaisance. Mais une avancée dans le récit par saccades, soixante-cinq courts «chapitres», aux images fulgurantes, percussives, tour à tour affutées comme des lames, puis tendres… Et derrière cette apparente noirceur, la promesse, l’espoir des mots salvateurs, portés par une écriture concise et dense.

«Au plus fort de la douleur, il est des mots qui ne se disent pas. Ils pendent misérables au bout de l’œil, et ceux qui les regardent les comprennent.
Les yeux de la souffrance connaissent toutes les langues.» (p.44)

Damien Murith, auteur fribourgeois né en 1970, s’est déjà fait remarquer lors de la parution de son triptyque de romans Le livre des maudits, aux éditions L’Âge d’Homme, récompensé par plusieurs prix littéraires. La voix magistrale et forte d’un grand poète, à découvrir absolument!

Coup de cœur - Jours à Leontica

Librairie La Méridienne

7 jours, 7 chapitres et tout un univers qui se dévoile…
Le Felice, 90 ans est un personnage déterminé et un homme d’habitudes. Il accepte de partager celles-ci avec le narrateur qui va le suivre durant quelques jours. C’est un monde qui s’ouvre à lui, à nous, celui de la lenteur, de l’observation et de la simplicité. En relatant ces journées rythmées par la nature environnante, il découvre un monde rempli de sagesse, de bienveillance et d’entraide.

De manière intemporelle et par le biais d’une écriture imagée, l’auteur nous décrit la vie ordinaire des habitants de Leontica, petit village d’une vallée tessinoise. Tel un récit de vie, ce texte nous permet de faire la connaissance de gens pour lesquels le mot communauté n’est pas vain. Des gestes simples aux échanges peu verbaux. De l’humour si particulier des taiseux à la curiosité de l’autre. De la sobriété jusqu’aux situations plus picaresques… Il faut savoir que Felice se trempe tous les matins dans une gouille d’eau en altitude et cela par n’importe quel temps… qu’il marche pieds nus jusque tard dans la saison hivernale… que les décoctions de plantes sont sa boisson de prédilection et ça dans le pays de la grappa… qu’un jeune paysan du village a posé pour le calendrier agricole… que les kakis poussent là-bas comme chez nous, les pommes. Un livre envoûtant grâce à sa description minutieuse, poétique d’un univers parfois âpre mais tellement humain.
Un texte contemporain… aux accents nostalgiques?

 

Coup de cœur - Pipes de terre et pipes de porcelaine

Librophoros

Ce livre a le pouvoir de nous mettre d'aplomb! Madeleine Lamouille est une femme d'une personnalité remarquable et inspirante. Elle naît au début du siècle à Cheyres, dans une famille nombreuse et pauvre. À l'adolescence elle va en France voisine dans une usine-couvent (quelles étranges conditions...), puis avec sa sœur, malade, elles rentreront en Suisse.

Madeleine Lamouille raconte ses souvenirs de femme de chambre dans deux grandes maisons romandes, c'est une plongée dans cet univers, dans cette vie d'un certain esclavagisme; c'est aussi la droiture de cette femme, qui sait quelle est sa place, mais qui sait aussi ce qu'elle est en droit d'attendre comme considération, et elle va le demander!

Lire ce récit offre une une fenêtre sur la vie des grandes maisons des années 30-40, lire ce récit c'est aussi se rendre compte à quel point il est d'actualité.

Coup de cœur - Inflorescence

Librairie l’étage

Féminité, maternité, filiation et végétation: voici quelques adjectifs définissant bien ce très beau texte. L’écriture délicate, addictive et subtile de Raluca Antonescu nous entraîne à la rencontre de quatre femmes vivant dans des lieux et des époques différentes (entre 1911 et 2009). Les récits se tissent et se mêlent, tels des «inflorescences». Au lecteur/à la lectrice, petit à petit, de reconstituer le puzzle de ses quatre vies où la nature et particulièrement les végétaux tiennent une place centrale dans la vie de chacune.