Romain Debluë, Rastignac sur Léman

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Portrait de Romain Debluë
Romain Debluë © DR

La Chasse aux cerfs, roman-fleuve, suit Paul Savioz, jeune homme aux grandes ambitions intellectuelles, des bords du Léman jusqu’à Paris, et retour. Un étonnant parfum d’intemporalité. 

Impossible de transporter l’objet dans son sac pour le lire dans le train, difficile de le tenir à bout de bras en le lisant au lit, cauchemar des libraires: La Chasse aux cerfs, ses 1048 pages et ses deux kilos au bas mot, est un livre qui ne fait rien pour se faire aimer, au premier abord. Dans un deuxième temps, non plus, tant le héros, verbeux, pétri de culture classique et condescendant, se prend pour un Rastignac à qui Paris pourrait vraiment appartenir. Mais si la curiosité finit par l’emporter, si dans votre mansuétude de lecteurs vous vous dites qu’il n’y a pas de sot voyage, la lecture en vaut l’effort.
La Chasse aux cerfs est un vaste roman d’apprentissage signé Romain Debluë, né à Montreux en 1992, auteur en 2016 d’un précédent roman intitulé Les Solitudes profondes, et en 2021 d’un essai, Hegel et le festin de Saturne. Si Les Solitudes profondes racontait une enfance puis une adolescence placée sous le signe de Bernanos ou Claudel, La Chasse aux cerfs peut se lire comme la suite d’un même vaste roman de formation. L’héroïne des Solitudes profondes, Florine, fait ici place à un héros, Paul Savioz, qui s’en va à Paris poursuivre des études entamées sur les bords de son Léman natal. À Paris, installé dans une chambrette de la rue du Bac, Paul devient ami avec son voisin de palier Justin, étudiant en philosophie, et Guillaume, jeune mystique catholique qui frémit sur la tombe de Pascal. Paul tombe amoureux de la flamboyante Françoise, qui étudie les représentations du Christ dans la peinture de Salvador Dali puis, de retour en Suisse, d’une violoniste et biologiste féministe nommée Emilie. Durant la journée, il fréquente la Sorbonne et donne des cours de violon à un jeune garçon atteint de leucémie.

Chez Romain Debluë, on n’écoute que Bach, Beethoven ou Mozart, on abhorre tout ce qui ressemble à une guitare électrique, et on lit Balzac, Pascal, Léon Bloy ou Rimbaud, prenant déjà une Marguerite Duras pour une vague pisse-copie de Voici. On ne se demande pas dans quelle boîte on va aller danser mais on débat esthétique, surréalisme ou jansénisme autour de quelques bocks de bière blonde. «Nous, mes chers amis, nous sommes vieux, – ou plutôt nous sommes anciens, et fiers de l’être.», assume Paul. Et lorsqu’il se pose sur un banc du Jardin du Luxembourg, c’est Cosette et Jean Valjean qu’il voit passer, tels d’adorables fantômes, ou la jeune fille de Nerval. C’est que pour lui, «c’étaient les livres qui donnaient vie à la vie». C’est à la fois passablement agaçant et ma foi exotique d’intemporalité. Sous le verbiage, sous l’immense culture littéraire et philosophique, pointent d’attachantes et subtiles élégances, mélancolie, ferveurs et hypersensibilités. Le très cérébral Paul troquera son protestantisme de Vaudois contre un catholicisme plus irradiant. Ni l’intelligence, ni la culture ne font pourtant le bonheur mais la contemplation du Léman, un midi d’après l’orage, s’en approche.
 

Source:
Isabelle Falconnier, Magazine LivreSuisse n° 5