Ricochet rencontre le bédéiste Fabian Menor

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Portrait de Fabian Menor
Fabian Menor © Ricochet, Institut suisse Jeunesse et Médias

L’auteur visuel genevois a d’abord publié avec succès sa première BD, Élise, à vingt-deux ans. Il est ami avec Zep, maîtrise aussi bien une animation en direct dans une boutique de luxe qu’avec l’Orchestre de la Suisse italienne, a imaginé la première affiche de l’Escalade en noir et blanc et mis en images Derborence de Ramuz, en le dépoussiérant un peu au passage. Rien ne l’arrête, si ce n’est le fait qu’une journée ne comprend que vingt-quatre heures.

 

Grand amoureux de la cité de Carouge, le bédéiste Fabian Menor m’a donné rendez-vous «au fond du restaurant l’Almercato, où on sera tranquilles pour discuter». En réalité, un groupe de clientes, assises juste à côté de notre petit salon particulier et particulièrement heureuses de se retrouver, va colorer notre rencontre de conversations tapageuses et de bruyants éclats de rire. Illustrant ainsi, sans le savoir, «le côté joyeux, vivant et très latin de la ville», tant apprécié par l’artiste visuel. «Je suis mexicain par mon père, et franco-espagnol par ma mère», explique ce dernier en repoussant ses boucles noires, qui lui retomberont régulièrement sur le front au fil de notre conversation. «J’ai hérité de cette dernière, qui m’a élevé seule, mes envies d’ailleurs et la passion du dessin, et de mon sang latin, le goût des couleurs vives.» C’est pour cela que Carouge lui tient particulièrement à cœur: «J’y ai grandi de dix à treize ans et j’y suis revenu très régulièrement ensuite, car j’y avais la plupart de mes copains», se souvient-il avec un sourire. «J’y ai maintenant installé mon atelier, dont je partage l’espace avec sept autres artistes. Saviez-vous que Carouge a été reconstruite au dix-huitième siècle par des architectes italiens, sur le modèle d’une cité méditerranéenne? C’est ce qui lui donne encore aujourd’hui cette âme particulière, qui subsiste malgré le fait que sa population a beaucoup changé au fil des années.»

La liberté de créer sans contrainte temporelle

Assis au bord du fauteuil en velours devant une simple bouteille d’eau, il hausse un sourcil amusé lorsque la discussion enflammée de nos voisines tend parfois à couvrir la nôtre: «C’est pour cela que je ne viens jamais travailler dans les cafés: je suis bien trop vite déconcentré», remarque-t-il sereinement. «J’adore être avec des gens, mais j’ai aussi souvent besoin de calme pour me ressourcer et trouver des idées. C’est pour cela que quand je le peux, je m’occupe de l’exécution artistique le matin, de l’administration en milieu de journée quand j’ai moins d’énergie, et de la création artistique le soir, quand les autres collègues sont partis.» Sans oublier, la plupart du temps, une petite sieste très méridionale en milieu d’après-midi sur le canapé en tissu «très confortable», placé dans un coin de l’atelier… «En fait, je n’ai jamais de programme fixe», souligne-t-il. «J’ai des dead lines, bien sûr, mais quand je crée, mon temps est élastique. Je suis hors système: hors vacances, hors horaires… et je réalise que cela me rassure d’être libre.»

À la rencontre de Zep

Une liberté d’action toute nouvelle pour Fabian Menor, qui a d’abord affronté les exigences et plannings scolaires habituels: élève rêveur à l’école primaire de la rue Jacques-Dalphin, c’est là qu’il voit deux fois Zep de loin, ce dernier ayant alors son atelier juste en face – il s’est d’ailleurs inspiré du bâtiment pour dessiner l’école de Titeuf. Le jeune garçon n’ose pas lui parler, mais, après plusieurs échanges sur son site et une rencontre à BDFIL, il lui envoie un mail un an plus tard. Zep lui répond et l’invite à son atelier, où le petit Fabian lui montre ses dessins. L’auteur le conseille et le soutient, lui permettant même de publier régulièrement des strips de son personnage Pancho deux ans plus tard – l’année de ses quatorze ans – dans le journal de Lancy.

Après sa scolarité obligatoire, Fabian Menor suit une formation de graphiste au Centre de formation professionnelle Arts de Genève, avant de faire partie en 2017 de la toute première volée d’étudiants de l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, parrainée entre autres par son mentor. Ce dernier, membre du jury, est ainsi chargé d’évaluer son travail de diplôme, La lanterne rouge: l’histoire de sa grand-maman lorsque, petite écolière timide dans les années 50, elle subissait régulièrement les humiliations de son institutrice. Un récit délicatement illustré de dessins à l’encre de Chine, esquissant en quelques traits le difficile quotidien d’une préadolescente qui oscille entre enfance et âge adulte. «Depuis, Zep et moi sommes devenus amis», souligne le jeune homme. «Je lui dois énormément, et je trouve admirable que quelqu’un de si connu soit resté si simple et adorable, au point d’accepter spontanément de rencontrer un enfant et de le conseiller.»

Une première BD reçue avec les honneurs

Repéré par la directrice des éditions La Joie de Lire, qui fait elle aussi partie de son jury de fin d’études, le jeune artiste visuel retravaille ensuite son projet de diplôme à la demande de cette dernière. Au total, cinq mois de travail acharné avec l’équipe éditoriale, à coup de deux planches quotidiennes. Et au final, Élise: une BD dont la publication en octobre 2020 remporte un grand succès, ainsi que le Prix Caran d’Ache – constitué d’une boîte de quatre-vingts crayons de couleurs – et la nomination aux Prix suisse du livre jeunesse et prix Töpffer de la jeune bande dessinée.

Source:
Véronique Kipfer, Ricochet, Institut suisse Jeunesse et Médias